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Thème : La solution économique pour la période de transition du capitalisme vers le communisme


La critique de Marx du projet socialiste « monnaie-travail » et le mythe du Proudhonisme des communistes de conseils / David Adam


Introduction

Une traduction en français des « Principes fondamentaux de la production et de la distribution communiste », du g.i.c., a commencé à circuler en France dans un cercle très étroit à partir de 1971 ; et elle rencontra immédiatement une résistance. En fin de compte, pour autant qu’on sache, elle n’a même pas été publiée (a).

On prétendait que ce texte aurait défendu la « monnaie travail » de Pierre-Joseph Proudhon, tellement critiquée par Marx :

« L’idée essentielle en est que l’« économie communiste », comme toute économie, nécessite une unité comptable pour répondre aux besoins de la société en évitant la comptabitité marchande et la régulation économique par la loi de la valeur. Cette unité est le temps de travail social moyen. Cette thèse présuppose que le communisme connaisse encore une économie, et que l’heure de travail social moyen soit un étalon au même titre que le litre ou le kilogramme. Elle a le mérite énorme de poser la question du communisme : mais, introduisant l’unité comptable générale, unité du temps de travail moyen par-dessus le marché, elle conserve le rapport de la valeur, l’équivalent général, tout en supprimant ses formes d’apparitions : l’argent, etc. Or, comme Bordiga fut, le seul à le répéter pendant longtemps, le communisme est, dépassement de toute valeur ; s’il compte, c’est en quantités physiques, mais non pour quantifier, régulariser un échange qui n’existe plus.
Mais les gauches hollandais réinventent une thèse déjà critiquée par Marx contre Proudhon. L’idée d’un calcul conscient et direct du temps de travail moyen abstrait, sans passer par l’intermédiaire de la monnaie, est étrangère à la perspective communiste, qui ne compte éventuellement qu’en quantités physiques (au sens large du mot). » (b).

Cette déclaration de Gilles Dauvé, qui a beaucoup contribué à laisser dans l’ombre la traduction française du travail du g.i.c., était manifestement fausse. Dans son parcours politique il est passé de « l’anti-conseillisme » à un des plus importants porte-parole du courant de la « communisation » (c). Ce faisant, il a en fin de compte tourné le dos à Marx quand il lui a été montré en 2014 que les propositions du g.i.c. étaient entièrement en accord avec celles de Marx (voir la postface).

L’idée du g.i.c., comme celle de Karl Marx et Friedrich Engels, revient aux « bons de distribution » de Robert Owen, qui ne sont pas du tout une monnaie, et dans lesquels la « valeur » et le travail salarié sont abolis. Le pire crime qu’a commis le g.i.c., aux yeux de Gilles Dauvé, est le rejet de l’idée de planification in natura (d). « La perspective communiste, qui ne compte finalement que sur des grandeurs physiques » n’est pas, en fait, une perspective simple, mais une double :

  • Tout d’abord, cela concerne une planification « in natura » comme elle fonctionnait en Russie pendant la période du « Communisme de guerre » en 1917-1920, c’est-à-dire : des mesures de pure urgence temporaire dans une situation d’extrême pénurie (e) ; ce qui n'est pas à glorifier beaucoup. Rapidement, il fut remplacé par la Nouvelle Politique Économique (n.e.p.) qui, aussi selon Lénine et Trotsky, était du « capitalisme d’État » par nature, maintenant donc le travail salarié ; un système perçu comme un « progrès » pour… la Russie arriérée, mais qui n’a rien de commun avec une période de transition vers le communisme et qui (de façon très illusoire) était vu comme une précondition pour une période de transition à venir et locale.
  • Ensuite, cela concerne le « communisme final » où la comptabilité et les statistiques ont beaucoup moins d’importance, réellement « in natura », comme le temps de travail devient également un critère toujours moins important.

Dans son introduction, Gille Dauvé est aussi d'accord avec la critique d’Amadeo Bordiga sur l’obsession supposée de la Gauche Germano-Hollandaise sur les « formes » d’organisation en soi (conseils, syndicats, partis), qui se ferait au dépends du « contenu » ; c'est-à-dire avec le programme communiste. Ainsi Gilles Dauvé, avant de devenir lui-même un « anti-programmatiste », qualifiait la Gauche Germano-Hollandaise de « conseilliste », lui déniant donc le fait d’être « communiste ».

Le « communisme final » (sans aucune définition) est simplement opposé à la transition vers le « communisme final », et Gille Dauvé affirme même que toute « transition » (si tentative soit-elle) nous éloigne inévitablement de ce but final, qu’il continue à ne pas définir.

Oui ! Il y a un risque que les « bons de distribution » commencent à circuler dans un circuit parallèle (difficile de l’éviter dans les « services personnels », par exemple) ; qu’ils soient accumulés ; utilisés comme monnaie, et même qu’ils maintiennent le travail salarié. Oui ! Et il y a aussi le risque que le semi-État, plutôt que de « dépérir », devienne un plein État avec des tendances dictatoriales contre le prolétariat. Et il y a encore beaucoup d’autres risques, et c’est pourquoi c'est un programme de transition à la fois économique et politique.

Gilles Dauvé ne peut pas non plus se baser sur Amadeo Bordiga, car celui-ci (avec quelques originalités) était, sur ce plan, en pleine conformité avec Karl Marxi (f).

Dans l’article qui suit David Adam vise la critique par Gilles Dauvé des « communistes de conseils », qui n’était pas influente que parmi les « communisateurs » (g), mais aussi au sein de la Gauche Communiste.


Notes introductives

a. Fondements de la production et de la distribution communistes (1930). Points de départ des principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes (1931). – [Manuscrit dactylographié, i.c.o., 1971]. Il est resté dans l’ombre jusqu’en 2016, quand il a été publié ici.

b. La Gauche communiste en Allemagne (1918-1921)  Avec des textes de H. Laufenberg, F. Wolffheim, H. Gorter, H. Roland-Holst, A. Pannekoek / Traduit par Denis Authier, introduction de Jean Barrot [=Gilles Dauvé]. – Paris : Payot, 1976. – p. 227. En dehors du fait que la confusion est sans doute en partie due au g.i.c. lui-même, le titre étant « Production et distribution communiste », alors qu’en réalité il ne traite que de la période de transition. Mais ce n’est pas une excuse pour Gilles Dauvé qui etait censé lire au-delà du titre.

c. Sur le parcours politique de Gilles Dauvé, voir aussi Philippe Bourrinet, Un siècle de Gauche communiste « italienne » (1915-2015) ; (Suivi d’un) Dictionnaire biographique d’un courant internationaliste, lemma Dauvé, p. 264-271. Les origines du courant des « communisateurs » sont très largement documenté dans : Rupture dans la théorie de la révolution : Textes 1965-1975 / Présentés par François Danel. – Paris : Senonevero, 2003. – 607 p. et: Fondements critiques d’une théorie de la révolution : Au-delà de l’affirmation du prolétariat / Roland Simon. – Paris : Senonevero, 2002. – 720 p. – (Théorie du communisme ; volume 1), des œuvres qui méritent un approche critique.

d. À la « planification » et à « l’échange » in natura ressort, de façon évidente, le rationnement, correspondant à un état d’urgence pendant et après une catastrophe naturelle, la guerre civile ou territoriale, avec une grande pénurie de biens, qui ne peut être glorifié. La « période de transition » ne peut commencer qu’ensuite. Sur le sujet, voir aussi Pannekoek en 1946 : « Dans les premiers temps de la transition quand il y a beaucoup de dévastation à réparer, le premier problème est de développer l’appareil productif et de garder les gens en vie. Il est tout à fait possible que l’habitude, imposée par la guerre et la famine, d’avoir les produits alimentaires indispensables distribués sans distinction soit simplement continuée. Le plus probable est que dans ces temps de reconstruction, quand toutes les forces doivent être consacrées à cela, quand, de plus, les nouveaux principes moraux de travail commun se forment seulement progressivement, le droit à la consommation sera attachée au rendement du travail. Le vieux proverbe populaire disant « qui ne travaille pas ne mange pas », exprime un sentiment instinctif de justice. Ici il ne s’agit pas seulement de la reconnaissance que le travail est la base de toute la vie humaine, mais aussi de la proclamation que maintenant il y a une fin à l’exploitation capitaliste et à l’appropriation des fruits du travail des autres par les titres de propriété d’une classe oisive. » (Workers’ Councils, Chapter 4, Social Organisation, p. 25; traduit ici provisoirement de l’anglais). Traduction alternative: « Au début de la période de transition, alors qu’il faut relever une économie ruinée, la problème essentiel consiste à mettre en place l’appareil de production et assurer l’existence immédiate de la population. Il est très possible que, dans ces conditions, on continue à répartir uniformément les denrées alimentaires, comme on le fait toujours en temps de guerre ou de famine. Mais il est plus probable qu’en cette phase de reconstruction, où toutes lesw forces disponibles doivent s’enployer à fond et où, qui plus est, les nouveaux principes moraux du travail commun ne prennent forme que d’une manière graduelle, le droit à la consommation soit lié à l’accomplissement d’un travail quelconque. Le vieux dicton populaire « qui ne travaille pas, ne mange pas », exprime un sentiment instinctif de la justice. Ceci revient sans doute à voir dans le travail ce qu’il est en réalité: le fondement de l’existence humaine. Mais ceci veut dire aussi que, dorénavant, l’exploitation capitaliste a vécu, que c’en est fini de l’appropriation des fruits du travail d’autrui par une classe oisive, en vertu de ses titres de propriété. » ( Les conseils ouvriers / Anton Pannekoek. – [Paris] : Spartacus, mars 1982. – p. 71).

e. A la fondation du g.i.c. l’accent, déjà dans le nom, était porté sur un internationalisme programmatique, ainsi que contre le « communisme national » du Comintern (voir à ce propos : Der Hamburger « Nationalbolschewismus » : Heinrich Laufenberg (1872-1932) und Fritz Wolffheim (1888-1942). En 1938, effectivement, il y a plus d’insistance sur la forme de la lutte ou plutôt sur la forme d’organisation, comme c’est évident dans le nom dans le nom de la nouvelle revue : Radencommunisme (« communisme de conseils ) – ainsi contre le communisme de parti. Mais cela ne signifie absolument pas que l’internationalisme programmatique était abandonné. C’est plutôt le contraire : la poursuite de « l’opposition » interne contre le programmatisme du Comintern, depuis longtemps érodé en 1927, a conduit par la suite à des absurdités au niveau micro-organisationnel sous la forme d'un « duce » (Bordiga) avec ses courageuses, mais rares, « phalanges ». Pour un exposé purement « formel » des formes d’organisation, réellement exempte de tout « programme », on a quelque chose largement meilleur avec : Maurice Brinton : The Bolsheviks and Workers’ Control (1917-1921) , 1970.

f. Voir : Amadeo Bordiga sur la solution économique. À remarquer que ces très importants fragments n’ont, tant qu’on sait, jamais été traduits en anglais.

g. Bruno Astarian, un autre « communisateur », a porté beaucoup plus tôt des attaques contre Karl Marx avec : Value and its abolition  ; une traduction abrégée de : L’abolition de la valeur selon Marx , datée de 2012. D’après ce que nous savons, d’autres « communisateurs » partagent cette autre particularité selon laquelle, d’après Bruno Astarian, l’existence de la « valeur » dépends de la productivité et de la standardisation. Pensons à la biface, qui a été travaillée et très normalisée pendant des centaines de milliers d’années dans une productivité constante sans aucune « valeur » impliquée, pour comprendre la confusion totale.


La critique de Marx du projet socialiste « monnaie-travail » et le mythe du Proudhonisme des communistes de conseils / David Adam

Des théoriciens de gauche ont déclaré que la tradition communiste de conseil défendait une économie capitaliste autogérée plutôt qu’une économie communiste. Cet essai a pour but d’exposer et démanteler ce mythe en examinant quelques écrits des communistes de conseil, particulièrement ceux du Groupe Hollandais des Communistes Internationaux et d’Anton Pannekoek en les comparant avec les propres écrits de Karl Marx sur la comptabilité post-capitaliste du temps de travail. À travers cela j’espère montrer que le mythe sur le communisme de conseil est fondamentalement basé sur une déformation de la position de Marx sur ces questions. Pour comprendre les similitudes et les perspectives des analyses de Marx et des communistes de conseil, il est nécessaire de dissiper les mythes à propos des propres points de vue de Marx et de souligner la distinction qu’il fait entre la mesure du travail par la « valeur » dans le capitalisme et la mesure du « travail directement social » par le temps. Par conséquent, une grande partie de l’essai se concentrera sur Marx.

Il est clair que l’auto-direction était une préoccupation essentielle des communistes de conseil. Comme Pannekoek le dit en 1952, « […] « conseils ouvriers », cela ne désigne pas une forme d’organisation fixe, élaboré une fois pour toutes et dont il resterait seulement à perfectionner les détails ; il s’agit d’un principe, le principe de l’auto-gestion ouvrière des entreprises et de la production. » (1). Certains critiques affirment que la théorie de l’auto-direction des ouvriers préconisée par Pannekoek et d’autres, en ignorant le contenu spécifique des relations sociales communistes, perpétue en fait les relations sociales capitalistes. L’affirmation que les communistes de conseil ont préconisé des formes capitalistes est liée à la question de certificats de travail, ou bons, une idée qui a une longue histoire dans le mouvement socialiste.

La critique par Gilles Dauvé, en 1969, de la tradition communiste de conseil dans « Le léninisme et l’ultra-gauche  » semble être un important point de référence pour une tendance moderne qui théorise la transformation révolutionnaire comme « communisation » et met en question la notion marxiste traditionnelle d’une période révolutionnaire de transition (2). Dauvé rejette l’idée des bons de travail et de la comptabilité du temps de travail comme partie d’une critique de toute notion de « gestion socialiste de l’économie » (3). Dauvé affirmait dans un essai ultérieur, « Notes sur Trotsky, Pannekoek et Bordiga », que les représentants de la tradition communiste de conseil avaient tort de chercher un système rationnel de compte en temps de travail (4).

Dauvé affirme que Marx lui-même rejetait la comptabilité en temps de travail et les bons au début des Grundrisse (5). Une raison significative d’être sceptique à propos de l’affirmation de Dauvé est le fait que Marx proposait justement un tel système de bons de temps de travail comme faisant partie de la première phase du communisme dans sa Critique du programme de Gotha, écrit après les Grundrisse. Il est vrai que Marx était extrêmement critique sur l’idée de « monnaie-travail », qu’il associait aux socialistes ricardiens et aux proudhoniens. Pourtant, en 1875, il soutient l’idée de lier la consommation aux heures de travail via des « certificats ». Est-ce que Marx revenait à sa position antérieure ? Admettait-il la persistance de la loi de la valeur dans une société communiste ? Cet essai soutiendra l’idée que Marx n’a fait ni l’un ni l’autre et que ses remarques dans la Critique du Programme de Gotha – et l’élaboration des communiste de conseil sur ce thème, malgré ses faiblesses – sont en accord avec sa critique de « l’argent travail ». Cette démonstration révélera que l’utilisation par Dauvé de la théorie de Marx repose sur un malentendu. Tant que la critique de Dauvé à l’égard de l’attitude des communistes de conseil vis-à-vis des partis politiques restera inchangée, sa critique influente de « l’auto-gestion » sera significativement affaiblie.

La Critique de Gotha de Marx

Nous devons d’abord rappeler brièvement ce que Marx écrivait dans sa Critique du programme de Gotha à propos de la première phase du communisme. Il y a plus ou moins trois périodes distinctes décrites par Marx, qui sont souvent confondues. Il y a une période de transformation révolutionnaire, une première phase de société communiste, et une phase supérieure de société communiste. Dans le contexte de la discussion sur ces changements sociaux, le « socialisme » n’est jamais décrit par Marx comme une phase distincte, car il ne faisait pas de différence entre le concept de société socialiste et de société communiste – les termes étaient interchangeables pour Marx (6). Néanmoins, Marx divisait le socialisme ou le communisme en deux phases. Avant que tout type de société communiste voit le jour, Marx écrivait qu’une « transformation révolutionnaire » est nécessaire. « Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. A quoi correspond une période de transition politique où l’État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat » (7). Bien que décrit à un point précédent dans la Critique, les deux phases de la société communiste suivent chronologiquement cette transformation du capitalisme en communisme. La première phase de la société communiste lie la consommation individuelle aux heures de travail, tandis que la phase supérieure de la société communiste fonctionne selon le principe « de chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins » (8). Marx décrit la première phase du communisme comme « une société communiste, non comme elle s’est développée sur ses propres fondations, mais au contraire comme émerge de la société capitaliste ». Dans cette première phase l’ouvrier « reçoit de la société un bon certifiant qu’il a fourni telle somme de travail (après déduction du travail effectué pour les fonds collectifs) et, avec ce bon, il retire des réserves sociales exactement autant d’objets de consommation qui a coûté sontravail. » (9). Tandis que Marx examine cette forme de société comme étant encore marquée par son émergence du capitalisme, et donc inadéquate par certains aspects, il la décrit pourtant comme le communisme : une société qui s’est débarrassée de l’État, de la valeur et de l’institution du travail salarié.

Dès la première phase de la société communiste, le travail doit être distribué socialement dans le but de satisfaire les besoins humains. À l’opposé, la planification sociale post festum du capitalisme requiert que le travail humain dépensé dans les produits des capitaux individuels soit évalué contre les normes du temps de travail socialement nécessaire, revenant ainsi, plus ou moins, au temps de travail de la société sous la forme argent qui a été mis en mouvement par chaque capital donné. Dans une société capitaliste, la « norme active » du temps de travail socialement nécessaire fonctionne par la concurrence pour discipliner les producteurs capitalistes (10). Dans la première phase de la société communiste, la rémunération est liée au travail accompli, mais le travail du producteur individuel est reconnu directement, à travers le processus de production, comme une contribution au bien être matériel de la société. Le travail dépensé dans les produits n’apparaît plus, selon les termes de Marx, comme la valeur de ces produits, une des propriétés qu’ils possèdent, parce que maintenant au contraire de la société capitaliste, le travail des individus n’est plus une partie constitutive du travail total de façon indirecte, mais il l’est de façon directe (11). Le mystère de la forme de valeur provient du fait que le capitalisme est « une formation sociale dans laquelle le processus de production a la maîtrise sur l’homme, au lieu du contraire » (12). La différence cruciale, pour Marx, entre la société capitaliste et la société communiste est celle-là : les ouvriers ne sont plus dominés par leur travail aliéné sous la forme de capital parce qu’ils ont mis la production sous leur contrôle collectif. Cela détruit la forme valeur, fétiche, des produits du travail. Comme Marx le dit dans Le Capital : « Les reflets religieux du monde réel ne peuvent, en tout cas, disparaître que quand les relations pratiques de le vie quotidienne entre l’homme et l’homme et l’homme et la nature, se présentent généralement à lui sous une forme transparente et rationnelle. Le voile n’est pas ôté du visage du processus de la vie social, i.e. le processus de production matérielle, tant qu’il n’est pas devenu la production par des hommes librement associés et qu’il reste sous leur contrôle conscient et planifié » (13). Comme nous le verrons, dans la critique, par Dauvé, de la comptabilité par le temps de travail, ce n’est pas la distinction fondamentale entre les formes capitaliste et communiste de la société. Il la caractérise plutôt la mesure consciente de temps de travail moyen comme étant constitutif de la relation de valeur capitaliste.

La fameuse critique du « Conseillisme »

La critique féconde, par Dauvé, de la tradition communiste de conseil, développée dans l’essai « Le léninisme et l’ultra-gauche », condamne la théorie communiste de conseils de l’auto-direction ouvrière comme reproduisant les rapports capitalistes de production. Dans un autre essai intitulé « Notes sur Trotsky, Pannekoek et Bordiga », le communiste de Gauche italien Amadeo Bordiga est considéré comme une sorte de correctif à l’idéologie de l’auto-direction de la Gauche germano-hollandaise. Mais qu’est-ce qui, exactement, doit être corrigé ? Qu’est-ce qui, dans l’auto-direction, est capitaliste ? Ce n’est pas le contrôle démocratique de la production per se, mais plutôt l’existence assumée de certains rapports sociaux au sein de l’économie auto-gérée par les communistes de conseils. Dauvé écrit :

« La théorie de la gestion de la société par les conseils ouvriers ne prend pas en compte la dynamique du capitalisme. Elle garde toutes les catégories et caractéristiques du capitalisme : travail salarié, loi de la valeur, échange. Le genre de socialisme qu’elle propose n’est rien d’autre que le capitalisme – dirigé démocratiquement par les ouvriers » (14).

Cette déclaration est simplement fausse.

Mais à quoi Dauvé se réfère-t-il vraiment ? Alors qu’il donne un grand nombre de notes référant aux œuvres de Marx, il ne cite aucun texte communiste de conseils validant sa déclaration. Ici nous devons revoir un peu d’histoire. Les communistes de conseils hollandais, en 1930, soutenaient l’idée de l’utilisation du temps de travail moyen pour produire des marchandises comme unité comptable pour une économie communiste. Paul Mattick et les communistes de conseils américains soutenaient et diffusaient ces idées (15). Le travail principal sur ce sujet, écrit par le Groupe des Communistes Internationaux de Hollande (GIC) et publié en 1930, était appelé « Principes fondamentaux de la production et de la distribution communiste » (16). Le GIC en rassemblant les commentaires de Marx et Engels sur le sujet de la société communiste, et ses commentaires étaient visiblement une élaboration sur les brefs commentaires de Marx dans la Critique du programme de Gotha. Dans le schéma du GIC, les ouvriers recevraient des certificats pour les heures de travail accomplies, après une certaine déduction pour des services sociaux généraux, contre la quantité de marchandises, qui, en moyenne, a pris le même temps pour être produites. Ces certificats ne circuleraient pas comme monnaie, ni ne seraient utilisées dans les relations entre entreprises productives. Voilà un passage de leur livre où ils décrivent cette configuration :

« Le seul rôle des bons de travail est de fonctionner comme moyen pour permettre que la consommation individuelle dans toute sa variété soit régulée selon la mesure du temps de travail. Une partie du total du "revenu" de chaque unité individuelle de production est, au cours de la vie économique quotidienne, déjà consommée dans le processus de distribution socialisée, i.e. la reproduction, tandis que seule une partie de ce total peut se frayer un chemin vers la forme de bons de travail dans la main des consommateurs individuels et être dépensés en fonction du temps de travail signalé sur les différents articles de consommation. Nous avons déjà observé que la quantité de bons de travail édités devient de plus en plus petite au fur et à mesure que le processus de socialisation de la distribution avance, pour atteindre finalement zéro. » (17).

Cette dernière phrase se réfère essentiellement au passage à la phase supérieure du communisme (18). Malgré ce qu’écrit Dauvé, le GIC s’oppose très clairement à ce que Marx appelle « travail salarié », et défend une société sans classe dans laquelle les ouvriers dirigent collectivement la production et la distribution. Dans la proposition du GIC, les besoins de la société doivent être vérifiés par des organisations d’atelier et les coopératives de consommateurs et il ne doit y avoir aucun marché (19).

Le GIC ne souhaitait pas que les ouvriers dirigent démocratiquement des entreprises indépendantes, qui échangeraient entre elles, et était très critique à l’égard de l’influence de Proudhon sur le syndicalisme sur ce plan. Dans son analyse, cette sorte d’opposition à tout contrôle centralisé conduirait, paradoxalement, à ce qu’il appelait le « communisme d’État » (comme en Union Soviétique) comme une nécessité économique, parce que les ouvriers n’auraient pas établi un contrôle économique centralisé à la base : « Il est aussi possible que les tendances syndicalistes soient présentes, avec un tel degré de force que la tentative des ouvriers d’établir leur propre contrôle administratif sur les établissements industriels soient accompagnées par des tentatives pour garder à la monnaie son rôle de moyen d’échange. Si cela arriverait, le résultat ne pourrait pas être autre chose que l’établissement d’une forme de socialisme de guilde, qui à son tour ne pourrait conduire au communisme d’État par une autre voie. » (20). Dans un article sur l’anarchisme et la révolution espagnol, le GCI écrivait : « Le droit à l’auto-détermination des ouvriers sur les usines et les entreprises d’un côté, et la centralisation de la gestion de la production de l’autre, sont incompatible tant que les fondements du capitalisme, monnaie et production de marchandises, ne sont pas abolis et qu’un nouveau mode de production, basé sur le temps de travail social moyen, lui soit substitué. » (21). De plus, le GIC contestait directement des penseurs marxistes, comme Kautsky, qu’il considérait comme défenseur du maintien des catégories économiques capitalistes :

« Il doit être établi d’entrée que Kautsky parle sans aucune réserve des ’prix’ des produits comme si ceux-ci étaient encore valides dans le communisme. Il a bien sûr droit de garder la foi dans sa propre terminologie puisque, comme nous avons vu, ’les prix’ continuent à fonctionner dans la conception Kautskyenne du ’communisme’. De même que, pour ce ’marxiste’, la catégorie valeur se voit attribuer un vie éternelle, de même, dans son ’communisme’, la monnaie continue aussi à fonctionner, les prix sont aussi assurés d’une vie éternelle. Mais quel genre de communisme est celui dans lequel les mêmes catégories économiques continuent d’avoir la même validité que sous le capitalisme ? » (22).

Le GIC soutenait l’idée que, dans qu’ils appelaient « un système planifiée de production de valeur d’usage », dans lequel « la relation des producteurs au produit social est directement exprimé », le calcul du temps de travail nécessaire pour produire ces valeurs d’usage « n’a rien à voir avec la valeur » (23). Alors, en quoi ces ennemis de la persistance des catégories économique du capitalisme défendaient-ils la règne de la loi de la valeur ? Dauvé écrit : « Pannekoek et ses amis ont eu tout à fait raison de revenir à la valeur et à ses implications. Mais ils avaient tort de chercher un système comptable raisonnable basé sur le temps de travail. Ce qu’ils proposent est, en fait, la loi de la valeur (puisque la valeur n’est pas autre chose que la quantité de temps de travail socialement nécessaire pour produire une marchandise) sans l’intervention de la monnaie. On peut ajouter que cela a été combattu par Marx en 1857, au début des Grundrisse. » (24) Dans un livre sur l’histoire de la Gauche Communiste allemande, Dauvé fait une déclaration semblable, critiquant le livre du GIC parce qu’il préserve « le rapport de valeur, l’équivalent général », même s’il détruit ses formes apparentes, renvoyant le lecteur à la critique de Proudhon par Marx (25).

On doit signaler, cependant, que la valeur n’est pas simplement « la quantité de temps de travail socialement nécessaire pour produire une marchandise ». Ce n’est que la quantité de valeur, le temps de travail moyen que ça prend pour produire des valeurs d’usage (26). Pour commencer, dans une économie collective, les produits ne prennent pas la forme de valeur, ainsi dans l’utilisation de Marx, ce qui est décrit n’est plus une mesure de la valeur. Dauvé doit dire ce qu’il fait, cependant, pour que toute mesure du temps moyen de travail soit classée comme « valeur » et donc capitaliste, sans préciser comment les rapports sociaux d’une économie démocratiquement planifiée sont des relations de valeur dans le sens de Marx.

Dauvé utilise « valeur » comme un mot d’alarme, une façon de justifier l’attribution de « capitaliste » aux propositions des communiste de conseil sans donner, en réalité, aucune preuve incontestable que 1) on devrait dire que la loi marxienne de valeur opère dans une économie démocratiquement planifiée, ou que 2) les communistes de conseil ne préconisaient la planification démocratique qu’au niveau de l’entreprise. Par exemple, Dauvé écrit avec désapprobation, « les conseils ouvriers de Pannekoek définissent le communisme comme un système démocratique de livre de compte et de comptabilité de la valeur » (27). Pour Dauvé, la comptabilité en temps de travail, en tant que telle, est constitutive de la loi de la valeur.

Bien sûr, Pannekoek n’a jamais défini le communisme de la façon décrite par Dauvé. Voilà quelques passages révélateurs de Pannekoek :

« Le travail est un processus social. Chaque entreprise est une partie du corps productif de la société. La production sociale totale est formée par leur connexion et leur collaboration. Comme les cellules qui composent l’organisme vivant, elle ne peuvent pas exister isolées et coupées du corps. Ainsi, l’organisation du travail au sein de l’atelier n’est que la moitié de la tâche des ouvriers. Au-delà, tâche plus importante, se trouve la jonction des entreprises séparées, leur combinaison en un organisme social…. Comment seront mesurées les quantités de travail réalisé et les quantités de produits auxquelles ils [les ouvriers] ont droit ? Dans une société où les biens sont produits directement pour la consommation, il n’y a pas de marché pour les échanger ; et aucune valeur, comme expression de la valeur contenue dans ces biens, ne s’établit automatiquement hors du procès d’achat-vente. Ici, le travail dépensé doit être exprimé de façon directe par le nombre d’heures. L’administration tient le livre [enregistre] des heures de travail contenues dans chaque pièce ou chaque quantité de produits, ainsi que des heures accomplies par chacun des ouvriers. Dans la moyenne sur tous les ouvriers d’une usine et, finalement, sur toutes les usines de la même catégorie, les différences personnelles sont aplanies et les résultats personnels sont inter-comparés… Comme une image numérique simple et intelligible le processus de production est exposé à la vue de tout le monde. Ici, l’humanité voit et contrôle sa propre vie. Ce que les travailleurs et leurs conseils conçoivent et planifient dans la collaboration organisée est montré dans le caractère et les résultats, dans les chiffres de la comptabilité. Ce n’est que parce qu’ils sont perpétuellement sous les yeux de chaque travailleur que la gestion de la production sociale par les producteurs eux-mêmes est rendue possible. » (28).

Comme nous verrons, la description par Pannekoek de la transparence du processus communiste de production rappelle la description de Marx du communisme dans Le Capital. Marx, résolument, n’identifie pas la « loi de la valeur » à la comptabilité et au contrôle social conscient du procès de production, mais plutôt à la soumission du producteur au procès de production. Selon Marx, « le concept de ‘valeur’ présuppose ‘l’échange’ de produits. Là où le travail est commun, les rapports des hommes avec leur production sociale ne se manifestent pas comme la ‘valeur’ des ‘choses’. » (29). C’est néanmoins dans ce type de société, comme la décrit Pannekoek ci-dessus, que Dauvé affirme que les conseils ouvriers fonctionneraient nécessairement comme des entreprises capitalistes (30).

Est-ce que l’argument de Marx dans les Grundrisse soutient la position de Dauvé, comme il le suggère ? La critique de la comptabilité par le temps de travail du GIC est faite sur la base de la théorie de la valeur de Marx, bien qu’il n’y ait, par commodité, aucune mention des commentaires de Marx dans la Critique du programme de Gotha. Si Marx rejetait réellement ce type de comptabilité par le temps de travail dans les Grundrisse, il semble que cela se détonnerait par rapport aux remarques de la Critique du programme de Gotha. Est-ce que Marx soutenait par erreur un retour au capitalisme dans ce texte, ou bien est-ce qu’il n’identifiait pas la comptabilité par le temps de travail avec le capitalisme et la loi de la valeur ?

L’utilisation des bons de travail décrits par Marx exigerait une certaine forme de comptabilité par le temps de travail pour garder la trace du temps qu’il a fallu pour produire les différents biens, à la fois parce qu’elle est nécessaire pour une affectation planifiée des ressources, et à la fois parce que les bons de travail doivent être exprimés en unités de temps de travail. Mais pourquoi de tels bons sont-ils défendus par Marx, plutôt que dénoncés comme un schéma utopique de monnaie-travail ? Afin de mieux comprendre comment Marx comprenait ces questions, nous regarderons ses divers écrits sur le thème des plans de monnaie-travail, et nous examinerons comment Marx a utilisé sa théorie de la valeur dans ce contexte.

La critique de Marx de la monnaie-travail

La critique de Marx de l’argent de travail est fondée sur l’idée que celui-ci ne peut pas faire ce qu’il est supposé faire. Il l’appelle un « terme pseudo-économique » (31). Que les socialistes proposent une solution aussi inefficace au problème du capitalisme suggéra à Marx une compréhension inadéquate du rôle de la monnaie dans la société capitaliste. Dès 1844, dans ses notes sur des Éléments de politique économique de James Mill, Marx développait une théorie distincte de la monnaie dans le cadre de sa compréhension de l’aliénation humaine. Marx voyait la monnaie comme une expression de rapports sociaux particuliers – rapports qui ont échappé à un véritable contrôle humain. Il écrivait que « le mouvement intermédiaire de l’homme engagé dans l’échange n’est pas un mouvement social, humain, ce ne sont pas des rapports humains : c’est le rapport abstrait de la propriété privée à la propriété privée, et cette relation abstraite c’est la valeur qui ne prend une existence réelle comme valeur que sous la forme de monnaie. » (32). C’est précisément cette compréhension de la genèse de la monnaie que Marx utilise contre Proudhon quand il déclare, « La monnaie n’est pas une chose, c’est un rapport social. » (33). Cette compréhension de la monnaie est réaffirmée dans les Grundrisse où Marx écrit que dans la monnaie « les individus ont aliéné leurs propres rapports sociaux de sorte qu’ils prennent la forme d’une chose. »(34).

C’est sur cette base que Marx critiquait les défenseurs de l’argent-travail. Dans la mesure où la forme valeur, et donc la monnaie, émerge des rapports sociaux de l’échange privé, en ne modifiant que le moyen utilisé pour effectuer cet échange ne peut pas supprimer les insuffisances du mode de production capitaliste. Marx explique que la critique est souvent dirigée contre la monnaie et l’intérêt à l’exclusion des bases sociales du capitalisme, du fait que toute l’irrationalité du capitalisme apparaît le plus fortement dans le marché monétaire. Comme Marx l’écrivait en 1851,

« Dans la mesure où c’est sur le marché de la monnaie que toute la crise éclate et que toutes les caractéristiques de la production bourgeoise se retrouvent comme symptômes qui, c’est vrai, deviennent des causes fortuites, rien n’est plus simple à comprendre que le fait que c’est la monnaie que les réformateurs bornés qui restent fidèles au point de vue bourgeois veulent réformer. Parce qu’ils veulent conserver la valeur et l’échange privé, ils conservent la séparation entre le produit et sa capacité d’échange. Mais ils veulent modifier la marque de cette division de telle façon qu’elle exprime l’identité. » »(35).

Le développement le plus étendu de ces réformateurs par Marx se trouve dans les Grundrisse, où Marx critique le proudhonien Darimon et le socialiste ricardien John Gray. Ceux qui proposaient la monnaie-travail cherchaient à éliminer les aspects nuisibles ou injustes du capitalisme tels que les crises économiques et les échanges inégaux (comme l’échange entre capital et travail). Ils imaginaient qu’une banque pouvait identifier les prix et la valeur par l’utilisation de la monnaie-travail- des bons représentant un certain nombre d’heures de travail – et que cela pourrait supprimer les fluctuations anarchique de l’offre et de la demande dans une économie capitaliste monétaire. Marx les taxait d’utopisme : voulant établir le socialisme sur la base de la production de marchandises. La théorie ouvrière de la valeur était considérée par Proudhon, par exemple, comme une sorte de programme de justice à réaliser »(36). La conception de Marx était tout à fait différente : « Je dis […] que la production de marchandise se transforme nécessairement, à un certain point, en une production de marchandise ‘capitaliste’ et que selon la loi de la valeur qui la gouverne, la ‘plus-value’ est due au capitaliste et pas au travailleur. » »(37).

Un point clef dans la critique par Marx des propositions de monnaie-travail est que, alors que la valeur exprime le caractère social du travail sous le capitalisme, il ne peut le faire qu’à travers un prix de marché qui est distinct de la valeur. Les « babilleurs du temps » croient faussement, écrit Marx, « qu’en annulant la différence nominale entre la valeur réelle et la valeur du marché, entre la valeur d’échange et le prix – c’est à dire en exprimant la valeur en unités de temps de travail plutôt que dans une objectivation donnée de temps de travail, disons de l’or ou de l’argent – qu’en faisant ainsi ils suppriment aussi la différence et la contradiction réelles entre le prix et la valeur. » »(38). Marx soutenait que cette solution proposée n’atteint pas la racine de la contradiction, à savoir le manque de contrôle social sur la production.

Darimon et d’autres défenseurs de la monnaie-travail souhaitaient renverser le rôle privilégié des métaux précieux dans la circulation et l’échange. Marx caractérisait l’objectif de Darimon de la manière suivante. « Laissez le pape en place, mais que tout le monde soit pape. Abolir la monnaie en faisant de chaque marchandise de la monnaie et en la dotant des attributs spécifiques de la monnaie. » (39). Marx défendait l’idée que les marchandises ne peuvent pas représenter directement leur possibilité d’être échangeable en termes de monnaie-travail, mais que le travail dépensé individuellement dans une marchandise doit être représenté travail socialement uniforme via un équivalent universel, ou la monnaie. Si la monnaie-travail était utilisée pour abolir le rôle spécifique de la monnaie dans l’économie, la valeur exigée [commanded, ndlt] par la monnaie-travail dans l’échange divergerait nécessairement de sa valeur nominale en terme de temps de travail et elle ne pourrait pas réaliser l’égalisation sociale des divers travaux tout en représentant simultanément une quantité équivalente de marchandises individuelles. Quand une marchandise est produite de façon plus efficace qu’une autre du même type, elle représente la même quantité de monnaie sur le marché ; cependant, si la monnaie-travail devait s’échanger en quantités égales pour ces marchandises, elle ne pourrait pas en même temps représenter une quantité spécifique de temps de travail. Le genre d’organisation de production sociale adéquate pour une société de production de marchandises repose sur la dynamique compétitive des mouvements de prix.

Sont aussi pertinents à ce sujet les propos de Marx sur la forme simple de la valeur dans Le Capital, Volume I, où il analyse les formes relative et équivalente, par lesquelles une marchandise (sous la forme relative) exprime sa valeur via le corps d’une autre marchandise (sous la forme équivalente). Marx écrit que ces formes « s’excluent mutuellement comme des pôles opposés » »(40). C’est révélateur dans la mesure où le travail privé dépensé dans une marchandise ne peut pas représenter du travail social indépendamment du rapport d’échange, et là uniquement la marchandise sous la forme équivalente, qui exprime la valeur d’une autre marchandise, représente le travail social sous sa forme matérielle. Les rapports sociaux de la production de valeur se manifestent donc nécessairement dans le rapport entre deux choses, comme l’attribut d’une chose, comme une propriété intrinsèque. La monnaie est décrite comme un équivalent général, une marchandise à travers laquelle toutes les autres marchandises expriment leur valeur.

Dans Le Capital, Marx lie son analyse de la forme valeur à sa critique de Proudhon et des socialistes ricardiens, utilisant une fois encore sa métaphore du pape : « Il n’est en aucun cas évident que la forme d’échangeabilité directe et universelle est un forme antagonique, comme inséparable de son opposé, à la forme d’échangeabilité non directe, comme la positivité d’un pôle d’un aimant l’est de la négativité de l’autre pôle. Cela a permis le surgissement de l’illusion selon laquelle toutes les marchandises peuvent être simultanément imprimées avec le tampon de l’échangeabilité directe, de la même façon qu’on peut imaginer que tous les catholiques peuvent être pape » »(41). Non seulement les catholiques sont liés à leur pape, mais encore le pape n’aurait pas sa position s’il n’y avait pas de catholiques. De la même manière, les produits de producteurs mutuellement indifférents ne peuvent pas être distribués sans monnaie, et la monnaie n’existerait pas si les biens n’étaient pas produits comme marchandises.

Le double caractère de la marchandise, discutée au début du Capital, est fondateur pour le traitement de la monnaie par Marx. La marchandise est à la fois une valeur d’usage et une valeur [d’échange, ndlt] parce qu’elle est produite pour l’échange, plutôt que simplement comme un objet de consommation pour les producteurs. Pour le propriétaire, la marchandise représente une revendication sur une portion du produit social. Sa forme sociale en tant que valeur est évidente dans la manière dont nous agissons et dans la manière dont nous parlons des marchandises et de leur valeur dans une société capitaliste développée. Ce n’est qu’avec l’expansion du marché et des différentes branches de l’industrie que la grande majorité des biens peuvent être produits comme marchandises. Ce développement de l’industrie et la division du travail développe le caractère social de la marchandise, la nécessité de son évaluation face à toutes les autres marchandises sur le marché. Selon Marx, la marchandise en tant que valeur d’usage entre en contradiction avec son caractère de valeur d’échange, à travers lequel elle est liée à l’ensemble du monde des marchandises dans des proportions variables. En tant que valeur d’usage, la marchandise n’est pas divisible à volonté en proportions diverses dans lesquelles elle pourrait être échangeable avec les différentes marchandises nécessaires pour la consommation et le fonctionnement de l’industrie. La nécessité de la monnaie est la nécessité d’une représentation indépendante de la valeur en tant que telle. Chaque marchandise peut donc être exprimée comme partie composante du produit social total, sans que la production soit déterminée par les besoins du consommateur.

La revendication d’une portion du produit social représenté par la marchandise peut être ou ne pas être réalisée sur le marché. Même si rien d’autre que du temps de travail socialement nécessaire a été dépensé pour une marchandise, il peut toujours arrivé que du travail superflu soit dépensé si la demande pour une marchandise particulière est insuffisante. Le vendeur d’une marchandise fournit une valeur d’usage et demande sa valeur d’échange, mais la demande pour une marchandise n’est pas déterminée par la valeur que le vendeur espère réaliser dans l’échange. Le vendeur peut ne pas désirer la quantité de valeurs d’usage proposée au prix offert. Dans la mesure où l’offre et la demande déterminent les fluctuations du prix, les prix pour les marchandises individuelles – la valeur monétaire que le capitaliste espère réaliser dans l’échange – divergeront naturellement des valeurs des marchandises, déterminées par le temps de travail socialement nécessaire.

Dans la section des Grundrisse concernant John Gray, Marx développe les contradictions inhérente à ses idées à propos de la monnaie-travail. En partant de la supposition de la production de marchandises et en supposant qu’une banque centrale édite de la monnaie-travail, Marx soutient que la seule façon d’éliminer les vicissitudes du marché serait que la banque devienne « l’acheteur et le vendeur général, mais aussi le producteur général ». Si des producteurs privés reçoivent réellement de la monnaie-travail en proportion du temps de travail dépensé pour produire leurs biens, le rôle régulateur de l’offre et de la demande serait annulé, conduisant à l’effondrement économique, tandis que si la banque elle-même détermine les valeurs, elle en arrive à agir comme le véritable organisateur de la production. En d’autres termes, la banque devrait imposer un plan despotique à une économie non planifiée. Les objectifs de Gray ne être atteints qu’en opposition à ses prémisses. Marx considère aussi la fonction sociale de cette banque du point de vue de la propriété commune des moyens de production : « En fait, soit elle serait un dirigeant despotique de la production et un administrateur de la distribution, soit elle ne serait rien d’autre qu’une équipe qui tient les livres de compte pour une société produisant collectivement. » »(42). Naturellement, Marx est en faveur de la seconde alternative.

Marx déclare que Gray défend un fondement économique pour une production privée plutôt qu’un contrôle de l’ensemble de la société, mais souhaite supprimer les conséquences économiques de la production privée. Le système de la monnaie-travail d’échange égal sur la base de la production de marchandises, porté à sa conclusion logique de supprimer les maux du système monétaire, nécessite d’abandonner la production de marchandises, de même que la production de marchandises nécessite la divergence du prix et de la valeur et d’autres choses que Gray déteste. La discussion de Marx sur le système de Gray dans la Contribution à la critique de l’économie politique éclaire les passages des Grundrisse. Marx écrit, « D’un côté, la société sous la forme de banque rend les individus indépendants des conditions de l’échange privé, et de l’autre côté elle les oblige à continuer à produire sur la base de l’échange privé. Bien que Gray veuille simplement ’réformer’ la monnaie émise par l’échange de marchandises, il est contraint par la logique intrinsèque du sujet de désavouer l’une après l’autre les conditions de la production bourgeoise. » »(43).

C’est cette volonté d’essayer de résoudre les problèmes du capitalisme en réformant le système de la monnaie que Marx distingue comme l’essence des schémas de la monnaie-travail. Dans les Grundrisse, quand Marx critique Darimon, il résume la question de cette façon. « La question générale serait celle-ci : est-ce que les rapports de production et les rapports de distribution qui leur correspondent, peuvent être révolutionnés par un changement de l’outil de circulation, de l’organisation de la circulation ? » »(44) Les partisans des schémas de la monnaie-travail centrent l’attention sur le moyen d’échange sans comprendre les rapports de production sous-jacents. Comme l’écrit John Gray, « Un système d’échange défectueux n’est pas un des maux parmi beaucoup d’autres d’importance presque égale : c’est le mal – la maladie – la pierre d’achoppement de toute la société. » »(45). Marx pense que les maux de la société bourgeoise que les défenseurs de la monnaie-travail visent à guérir, tels que la montée et la chute des prix, « ne peuvent pas être guéris en ’transformant’ les banques ou en fondant un ’système monétaire’ rationnel. » »(46). Pour Marx il est utopique de « vouloir retenir les marchandises mais pas la monnaie, la production basée sur l’échange privé sans les conditions essentielles pour ce type de production […] » »(47).

Marx exprimait ces idées dans sa critique de Gray dans sa Contribution à la critique de l’économie politique :

« Les marchandises sont le produit direct de types de travail individuels indépendants isolés, et par leur aliénation au cours de l’échange individuel ils doivent prouver qu’ils sont du travail social général, autrement dit, sur la base de la production de marchandises, le travail ne devient du travail social que comme le résultat de l’aliénation universelle de types individuels de travail. Mais comme Gray présuppose que le temps de travail contenu dans les marchandises est immédiatement du temps de travail social, il présuppose que c’est du temps de travail commun ou du temps de travail d’individus directement associés. Dans ce cas, il serait vraiment impossible pour une marchandise spécifique, telle que l’or ou l’argent, de se poser aux autres marchandises comme l’incarnation du travail universel et la valeur d’échange ne se changerait ps en prix ; mais la valeur d’usage ne se changerait pas non plus en valeur d’échange et le produit en marchandise, et donc la base même de la production bourgeoise serait abolie. Mais ce n’est en aucune façon ce que Gray défend – les biens doivent produits comme marchandises mais pas échangés comme marchandises. Mais il revient à M. Proudhon et à son école de déclarer sérieusement que la dégradation de la monnaie et l’exaltation des marchandises sont l’essence du socialisme et donc de réduire le socialisme à un malentendu élémentaire de l’inévitable corrélation existant entre les marchandises et la monnaie. » »(48).

La monnaie est simplement un développement de la relation entre marchandise et marchandise, d’où « l’inévitable corrélation existant entre les marchandises et la monnaie ». Marx pensait que Ricardo et l’économie politique classique comprenaient cette connexion de façon inadéquate.

Les développements de Marx sur la forme-valeur dans Le Capital, Volume I, dont nous parlons plus haut, sont une analyse détaillée de la connexion entre marchandise et monnaie, une analyse « jamais tentée par l’économie bourgeoise » »(49). Sa thèse est que « la forme monnaie de la marchandise n’est que la forme plus développée de la simple forme-valeur, c’est-à-dire de l’expression de la valeur de la marchandise dans une autre marchandise […] » »(50) Que ces produits du travail soient d’abord des marchandises repose sur le fait qu’ils sont « des produits de travaux privés séparés accomplis indépendamment l’un de l’autre. » »(51). Le contrôle et la comptabilité sociaux mis en place par les producteurs associés dans une société communiste abolissent les rapports de valeur, et pour cette raison abolissent la monnaie. Ce n’est qu’en ignorant la spécificité de la critique des schémas de la monnaie-travail par Marx et en supposant que cela concerne tout système impliquant la comptabilité en temps de travail que Dauvé peut soutenir que c’est applicable aux idées des communistes de conseils. Comme nous le verrons, des remarques dispersées de Marx sur la société communiste soutiennent fermement cette estimation.

Marx sur le communisme

Comme nous l’avons vu, pour Marx, la monnaie n’est pas seulement une unité de mesure, mais présuppose des propriétaires de marchandises s’affrontant sur le marché. Sa fonction sociale est d’être la médiation entre les travaux privés des producteurs de marchandises. Une fois donnée la prémisse du travail directement social – et c’est la base de la première phase du communisme de Marx – cette fonction sociale de la monnaie n’est plus nécessaire. Les bons de travail ont une fonction différente, celle de permettre une attribution consciente des biens. Marx fait cette distinction dans une digression pertinente (dans une note de bas de page) sur le socialiste Robert Owen dans le Volume I du Capital :

« la ’monnaie-travail’ de Owen, par exemple, n’est pas plus de la ’monnaie’ que ne l’est un ticket de théâtre. Owen présuppose un travail directement socialisé, une forme de production directement opposée à la production de marchandises. Les bons de travail sont simplement la preuve de la part prise par l’individu au travail commun et son droit à une certaine partie de la production commune qui a été mise de côté pour la consommation. Mais Owen n’a jamais fait l’erreur de présupposer la production de marchandises, alors qu’en même temps, en jonglant avec la monnaie, il tente de contourner les conditions nécessaires de cette forme de production. » »(52).

Nous avons déjà vu ce que Marx avait à l’esprit quand il parle de « jongler avec la monnaie ».

Dans le passage ci-dessus nous voyons que Marx fait une claire distinction entre l’idée d’un bon de travail fonctionnant dans le contexte du « travail directement socialisé » et la monnaie-travail de ses adversaires théoriques. C’est sur la base de cette distinction que nous pouvons dire avec confiance que Marx ne défendait pas la loi de la valeur dans la Critique du programme de Gotha, ni n’abandonnait sa critique du socialisme utopique. Un autre soutien à cette position est fourni par Marx dans la discussion, dans Le Capital, d’un producteur auto-suffisant, isolé : Robinson Crusoé. Marx écrit que Robinson Crusoé « commence rapidement, en bon anglais, à garder un ensemble de livres. Son livre d’inventaire contient un catalogue des objets divers qu’il possède, des opérations diverses nécessaires pour leur production et finalement, le temps de travail que les quantités spécifiques de ces produits lui ont coûté en moyenne. Tous les rapports entre Robinson et ces objets qui constituent sa richesse auto-produite sont si simples et transparents que même M. Sedley Taylor pourrait les comprendre. » »(53). Significatif est ici la notion d’une simplicité et d’une transparence absente dans les rapports capitalistes, où la loi de la valeur fonctionne dans le dos des producteurs. Comme Marx l’établit dans Le Capital, Volume III, la loi de la valeur agit comme « une force naturelle aveugle vis-à-vis des agents individuels [du capital, ndlt]. » »(54). C’est précisément pourquoi la loi de la valeur ne serait pas en vigueur dans le « système de production planifié de valeurs d’usage » défendu par les communistes de conseils. Ce que Marx poursuit alors dans Le Capital, le Volume I, c’est d’imaginer la production dans une société communiste comme une sorte de contradiction avec le capitalisme, en utilisant l’exemple de Robinson Crusoé. Cette discussion en particulier met en parallèles les remarques de Marx à propos de la première phase de communisme dans la Critique du Programme de Gotha. Marx écrit :

« Imaginons enfin, pour changer, une association d’hommes libres, travaillant avec des moyens de production détenus en commun et utilisant leurs capacités de travail de formes très variées pleinement conscients d’être une seule force de travail social. Toutes les caractéristiques de Robinson sont reproduites ici, mais avec la différence qu’elles sont sociales et non individuelles. Toutes les productions de Robinson étaient exclusivement le résultat de son propre travail personnel et étaient donc des objets d’usage pour lui personnellement. La totalité de la production de notre association imaginaire est une production sociale. Une partie de cette production sert de nouveaux moyens de production et reste sociale. Mais une autre partie de cette production est consommée par les membres de l’association comme moyens de subsistance. Cette partie doit donc être partagée entre eux. La façon dont se partage est fait dépendra de la sorte particulière d’organisation sociale de la production et du niveau correspondant de développement social atteint par les producteurs. Nous admettrons, mais seulement pour un parallèle avec la production de marchandises, que la part de chaque producteur individuel dans les moyens de subsistance est déterminée par son temps de travail. Le temps de travail jouerait, dans ce cas, un double rôle. Sa répartition conformément à un plan social défini maintient la proportion correcte entre les différentes fonctions de travail et les divers besoins des associations. D’autre part, le temps de travail sert aussi de mesure de la part prise par chaque individu dans le travail commun, et de sa part dans la partie de la production totale destinée à la consommation individuelle. Les rapports sociaux des producteurs individuels, à la fois vis-à-vis de leur travail et des produits de leur travail, sont ici transparents dans leur simplicité, dans la production aussi bien que dans la distribution. » (55).

Marx ne voyait pas cette « économie du temps » comme identique à la loi de la valeur, parce que cette loi de la valeur ne certainement représente pas une mesure consciente. C’est l’erreur fondamentale de la caractérisation par Dauvé du GIC comme défenseur de la loi de la valeur.

Conclusion

Nous avons vu pourquoi Marx critiquait les schémas de la monnaie-travail dans ses propres écrits, ainsi que l’importance qu’il donnait à la comptabilité par le temps de travail dans une société communiste. La critique de la « gestion communiste de l’économie » est en faillite, pour autant qu’elle est liée à la théorie de Marx (Dauvé ne donne aucune autre argumentation pratique que celle-ci). Cette critique éloigne les gens de considérer sérieusement la question de la viabilité économique d’une société socialiste en encourageant les dénigrements faciles de « l’auto-gestion » comme incarnation d’une sorte de programme socialiste. De plus, l’opposition à l’auto-gestion cache le fait qu’un nouveau rapport du travailleur au travail est en fait essentielle pour le socialisme. Si la critique de l’auto-gestion était basée sur une quelconque preuve que les communistes de conseils défendent des entreprises indépendantes qui échangent entre elles sur le marché, elle aurait une certaine substance. Dans l’état actuel des choses, l’utilisation par Dauvé des mots « travail salarié », « loi de la valeur » et « capitalisme » n’est rien d’autre qu’une malheureuse fioriture rhétorique.

Source : this was originally published in English in Marxist-Humanist Initiative’s journal, Marx’s Critique of Socialist Labor-Money Schemes and the Myth of Council Communism’s Proudhonism  (Marxist Humanist Initiative), également sur : Libcom .


Notes

1. Serge Bricianer, Pannekoek et les Conseils Ouvriers. – Paris : Études et documentation internationales, [1979], p. 290.

2. Voir « Bring Out Your Death » (Sortez votre macchab), Endnotes, I, disponible sur : endnotes.org .

3. Jean Barrot [= Gilles Dauvé] et François Martin, Eclipse and Re-Emergence of the Communist Movement (Éclipse et ré-émergence du mouvement communiste) (Detroit: Black & Red, 1974) p. 105.

4. Ibid., p. 123. [Notes on Trotsky, Pannekoek, Bordiga / Gilles Dauvé, 1973]

5. Ibid., p. 123-124.

6. Voir Paresh Chattopadhyay, « The Economic Content of Socialism : Marx vs. Lenin », dans : Review of Radical Political Economics, vol. 24, n° 3-4, p. 91.

7. Karl Marx, "Critique du programme de Gotha", Chapitre 4, Paragraphe A., « Libre fondement de l’État », Karl Marx, Oeuvres, Économie I. – Bibliothèque de la Pléiade, 1963. – p. 1429.

8. Ibid., p. 1420.

9. Ibid., p. 1419.

10. Ted McGlone et Andrew Kliman, « The Duality of Labour », in : The New Value Controversy and the Foundations of Economics – Cheltenham: Edward Elgar Publishing, 2004. – p. 145.

11. Marx, Critique du programme de Gotha, p. 1419. Dans les Grundrisse, Marx écrit que dans la production communale [ou collective, voir communiste ?, ndlt] « il n’y aurait pas d’échange de valeurs d’échange mais [plutôt un échange] d’activités » et que « l’échange de produits ne serait en aucun cas un medium par lequel la participation des individus à la production générale sera médiatisé ». (Grundrisse / Karl Marx. – London : Penguin, 1993. – p 171). Je laisserais Engels en dehors de cette discussion mais il vaut la peine de relever la description pas Engels du travail directement social dans le contexte de la comptabilité en temps de travail : « A partir du moment où la société entre en possession des moyens de production et les utilise en association directe pour la production, le travail de chaque individu, aussi varié que puisse être son caractère utile spécifique, est immédiatement et directement du travail social. La quantité de travail social contenu dans un produit n’a alors pas besoin d’être établie de façon indirecte ; l’expérience quotidienne montre de façon directe quelle quantité est nécessaire en moyenne. La société peut calculer simplement combien d’heures de travail sont contenues dans une locomotive à vapeur, un boisseau de blé de la dernière récolte, ou cent yards carrés de tissu d’une certaine qualité. Il ne pourrait donc jamais lui arriver d’exprimer la quantité de travail mis dans les produits, qu’elle connaîtra alors directement et dans sa quantité absolue, dans un troisième produit et de plus dans un sens qui est seulement relatif, fluctuant, inadéquat, quoi qu’autrefois inévitable en l’absence mieux et pas dans sa mesure naturelle, adéquate et absolue, le temps […]. Les gens pourront gérer toutes choses de façon très simple, sans l’intervention de la fameuse ’valeur’ ». Friedrich Engels, La révolution dans la science de M. Eugen Dühring, ici traduit de l’anglais.

12. K. Marx, Le Capital, Volume I, ici traduit de l’anglais.

13. Ibid, ici traduit de l’anglais.

14. Barrot et Martin, Eclipse and Re-Emergence of the Communist Movement, p. 104.

15. Voir « What is Communism ? », in : International Council Correspondence, Vol. 1, no 1 (1934), et « Communist Production and Distribution », voir « What is Communism », in : International Council Correspondence, Vol. 1, no.1 (1934), Living Marxism, Vol. 4, no 4 (1938).

16. Fundamental Principles of Communist Production and Distribution . « Bien que non formellement publié jusqu’à 1930, les Grundprinzipien développaient d’un document que Jan Appel avait écrit alors qu’il était emprisonné en Allemagne en 1923-1925. Via une étude systématique des écrits de Marx, Appel cherchait à creuser les principaux problèmes dans la création d’une nouvelle société socialiste. La principale préoccupation de Appel était de fournir un cadre théorique pour résoudre ce qu’il pensait être les deux questions clef soulevés par l’expérience des révolutions russe et allemande : 1) quelles conditions économiques sont nécessaires pour l’abolition de l’exploitation ? et 2) quelles sont les conditions politiques et économiques qui permettront au prolétariat de se maintenir au pouvoir une fois qu’il l’a conquis ? Après l’arrivée de Appel en Hollande, le manuscrit a été révisé par Canne Meijer et présenté au groupe pour plusieurs années de discussions et de révisions ». John Gerber, Anton Pannekoek and the Socialism of Workers’ Self-Emancipation, 1873-1960 (Norwell, MA: Kluwer Academic Publishers, 1989), p. 166.

17. http://www.marxists.org/subject/left-wing/gik/1930/01.htm#h4 . Le GIC écrit à propos du calcul sur le temps de travail : « Marx admet que ce système de comptabilité sociale puisse être, généralement, applicable à un processus de production dans lequel le travail est social; c’est-à-dire qu’il est également applicable que le communisme soit encore à un stade initial de son développement, ou que le principe « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » (l’étape plus haute de communisme) soit déjà réalisé. Autrement dit : l’organisation de la vie économique peut, au cours des diverses périodes de développement, passer par des étapes diverses, mais la base stable pour toutes ces étapes reste néanmoins l’unité de temps de travail sociale. http://www.marxists.org/subject/left-wing/gik/1930/09.htm .

18. Une critique plutôt étrange du g.i.c. est fournie par Philippe Bourrinet qui lui reproche de croire que « il serait immédiatement possible, dès que les conseils ouvriers ont pris le pouvoir dans un pays donné, d’aboutir à une forme évoluée de communisme ». Philippe Bourrinet, The Dutch and German Communist Left (London : Porcupine Press, 2001. – p. 252).

19. Le GIC écrit que « la vie industrielle Communiste », comme il l’envisage, « ne connaît pas la circulation d’argent et n’a pas le marché. » http://www.marxists.org/subject/left-wing/gik/1930/13.htm.

20. http://www.marxists.org/subject/left-wing/gik/1930/epilogue.htm#h3 .

21. « Anarchism and the Spanish Revolution », International Council Correspondence, Vol. 3, n° 5&6 (1937), p. 22.

22. http://www.marxists.org/subject/left-wing/gik/1930/04.htm#h3 .

23. http://www.marxists.org/subject/left-wing/gik/1930/01.htm#h4 .

24. Barrot et Martin, Eclipse and Re-Emergence of the Communist Movement, p. 123-124.

25. Denis Authier and Jean Barrot, La Gauche Communiste en Allemagne, 1918-1921 (Paris : Payot, 1976), p. 227.

26. « Que la quantité de travail contenue dans une marchandise soit la quantité de travail socialement nécessaire à sa production – le temps de travail étant alors le temps de travail nécessaire – est une définition qui ne concerne que l’ampleur de la valeur. Mais le travail qui constitue la substance de la valeur, n’est pas seulement du travail uniforme, simple, moyen, c’est le travail d’un individu privé représenté dans un produit défini. » Karl Marx, Théories sur la plus-value. Livre III (Amherst : Prometheus, 2000. – p. 135.

27. Barrot et Martin, Eclipse and Re-Emergence of the Communist Movement, p. 116.

28. Anton Pannekoek, Workers’ Councils  (Oakland: AK Press, 2003), p. 23-27.

29. Marx, Théories sur la plus-value, ici traduit de l’anglais.

30. Barrot and Martin, : Eclipse and Re-Emergence of the Communist Movement, p. 104.

31. Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique. (New York: International Publishers, 1970), p. 86.

32. Karl Marx, Early Writings (New York : Vintage, 1975), p. 261.

33. Karl Marx, Misère de la philosophie, ici traduit de l’anglais.

34. Karl Marx, Grundrisse, ici traduit de l’anglais.

35. Karl Marx, Reflections in : Karl Marx and Friedrich Engels, Collected Works, Vol. 10 (New York: International Publishers, 1978. – p. 588).

36. « Combien de clous vaut une paire de chaussures ? Si nous pouvons résoudre ce problème épouvantable, nous aurons la clef du système social que l’humanité cherche depuis six mille ans » (Pierre Joseph Proudhon, « Qu’est-ce que la propriété ? »).

37. Karl Marx, « Notes sur Adolph Wagner » dans : Later Political Writings, p. 255.

38. Karl Marx, Grundrisse, p. 138, ici traduit de l’anglais.

39. Ibid., p. 126, ici traduit de l’anglais.

40. Marx, Le Capital, volume I, ici traduit de l’anglais.

41. Ibid., ici traduit de l’anglais.

42. Marx, Grundrisse, ici traduit de l’anglais.

43. Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, p. 85.

44. Marx, Grundrisse, p. 122, ici traduit de l’anglais.

45. Cité par Alfredo Saad-Filho dans « Labor, Money, and ‘Labour-Money’: A Review of Marx’s Critique of John Gray’s Monetary Analysis », dans  History of Political Economy, Vol. 25, n° 1, p. 67.

46. Marx, Grundrisse, p. 134.

47. Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, Karl Marx, Oeuvres, Économie I. – Bibliothèque de la Pléiade, 1963. – p. 340-341.

48. Ibid., p. 85-86.

49 Marx, Le Capital, Volume I, p. 139.

50 Marx, « La forme-valeur », dans Capital & Class, n° 4, p. 141.

51. Ibid., p. 140.

52. Marx, Le Capital, Volume I, p. 188-189.

53. Ibid., p. 170.

54. Marx, Capital, Volume III, (London : Penguin, 1991. – p. 1020).

55. Marx, Le Capital, Volume I, p. 171-172.


Traduit de l’anglais par Bernard, 13 mars 2016.


Épilogue

Dans une ré-édition de 2015  de Eclipse and Re-emergence of the Communist Movement de 1974, Gilles Dauvé a réagi ainsi :

« Encore un mot sur la valeur. Dans « La critique de Marx du projet socialiste « monnaie-travail » et le mythe du Proudhonisme des communistes de conseils » (disponible sur libcom), David Adam réfute mon ancienne critique de la vision conseilliste du communisme sur la base du fait que la notion de la valeur du g.i.c. est la même que celle de Marx. La discussion devient plutôt délicate, non pas de ma faute ou de celle d’Adam, mais parce que la question est justement compliquée. Dans les éditions précédentes de « Léninisme et ultra-gauche », j’ai voulu réfuter les thèses du g.i.c. au nom de l’analyse de la valeur chez Marx, en faisant référence spécialement aux « Grundrisse ». Ce chapitre-ci de 2013 fait à présent le point sur ce qu’il y a de fortement discutable dans la vision de Marx lui-même, tant dans le « Capital » que dans les « Grundrisse », et sur le fait que le g.i.c. a vraiment suivi les pas de Marx et a eu tord de le faire [?] : loin d’être un instrument de mesure utile et correct, le temps de travail c’est le sang capitaliste. C’est plus qu’un lien de cause à effet : le temps de travail, c’est la substance de la valeur. Marx était en effet un précurseur du projet conseilliste. Qu’il soit clair cependant, que notre critique actuelle de Marx n’est aussi possible que grâce à la lecture de ses écrits. » (Eclipse and Re-emergence of the Communist Movement / Gilles Dauvé et François Martin. – Oakland, CA : PM Press, 2015. – p. 160-161, note 12 du chapitre 5).

Alors que Marx considère que le temps de travail est la « substance » de la valeur, pour Gilles Dauvé il devient « le sang capitaliste », suggérant par là que le calcul en temps de travail serait exclusivement spécifique au capitalisme (exprimé dans le capitalisme par ‘la valeur’), ce qui est logiquement et historiquement faux. Toute « économie » peut être réduite à une très simple question : qu’est qu'il y a à faire, et comment est-ce qu’on se partage cela en termes de temps et d'intensité? Malgré le fait que l’échange est maintenu, la valeur est abolie; l’échange est maintenu tant que la pénurie perdure.

Les « communisateurs » n'iront pas s'arreter avant « que tous les staticiens fussent pendus et étranglés avec les boyaux des comptables » (chouette radicalisme verbal), on défend ici la nature bénéfique des statistiques et de la comptabilité tant que nous avons encore besoin d'eux.

Le dernier mot des « communisateurs » c’est ce slogan : « On [sic !] n’abolit pas le capital pour le communisme mais par le communisme » (Sic ), ce qui semble très radical, mais malheureusement personne ne semble savoir ce que cela veut dire, sauf qu’un période de transition devrait être exclu. Et comme toute tentative de donner un sens aux mots est d’avance dénoncé par les communisateurs comme du « programmatisme » répréhensible, on finit effectivement avec « rien d’autre qu’une malheureuse fioriture rhétorique ».

Gilles Dauvé nous confesse lui-même qu’il essaye de se baser sur Marx pour… rejeter les conclusions finales de Marx.


Compiled by Vico, 3 April 2016, latest additions 3 September 2017



















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