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Thème : La solution économique pour la période de transition du capitalisme vers le communismeLes internationalistes hollandais sur le programme de la révolution prolétarienneSource: Bilan, 1935, n° 22, Août-Septembre, p. 744-750; 1935, n° 23, Septembre-Octobre, p. 788; Smolny . Nous nous sommes efforcés de résumer l’étude que viennent de réimprimer des Groupes des Communistes Internationalistes de Hollande, consacrée aux problèmes économiques et politiques de la période de transition donc de la période de la dictature du prolétariat. Il faut répéter ce que nous avons déjà écrit : ce travail vient tout à fait à point dans l’état actuel des discussions entre communistes internationalistes. Dans les courants issus de la IIIe Internationale, l’examen systématique de ces questions, surtout à la lumière de l’expérience de la révolution russe, n’a jamais été entrepris. La consigne semblait avoir été donnée de laisser dans ce domaine le champ libre à des social-démocrates du genre de Kautsky. Les internationalistes hollandais forment une louable exception à cet abstentionnisme général. On ne saurait en effet s’imaginer qu’un pas, tant soit peu sérieux, puisse être fait pour faire revivre un mouvement révolutionnaire du prolétariat sans aborder de front ce sujet. A quoi serviraient les appels toujours réitérés à la formation d’un parti révolutionnaire (pour ne pas parler d’une Internationale) si on n’explique pas en quoi doit consister ce travail de formation, si on ne dégage pas le contour de ce parti, la nature de ses fonctions, le caractère de ses rapports avec les masses ouvrières, mais au-dessus et avant tout le contenu du programme, de la transformation sociale dont il doit être, sinon le principal, en tout cas un des plus importants artisans. Comme indications théoriques valables sur les problèmes de la période de transition, nous ne possédons que l’étude de Marx sur la Commune de Paris, sa « Critique du Programme de Gotha », si opportunément rappelée et commentée par Lénine dans son « État et Révolution ». L’Internationale Communiste, même pas du temps où elle était dirigée par Lénine et Trotsky, n’a pu entreprendre de mettre à jour cette partie de ce qui doit constituer le bagage scientifique du prolétariat en marche vers le communisme. De ce côté, il n’y a plus maintenant que falsifications à attendre. On n’aurait donc, à tous les points de vue, qu’à se féliciter de ce que les internationalistes hollandais aient apporté à l’étude de ces questions une contribution, conçue dans le meilleur esprit du marxisme révolutionnaire, s’ils ne tentaient par la même occasion d’accréditer certaines notions sur l’organisation du prolétariat qui constituent une réelle régression. C’est pour cela qu’il y a lieu de démêler de leur travail le « bon » du « mauvais », de distinguer l’apport positif d’une critique qui sait se nourrir à l’observation du réel, d’une tournure d’esprit qui s’efforce de surmonter les obstacles en leur donnant... un autre nom. Le but de la révolution prolétarienne est de mettre fin à l’affirmation capitaliste de la plus-value, de faire disparaître en abolissant le droit de propriété sur les moyens de production tout antagonisme dans la répartition des produits du travail. C’est seulement dans la mesure où elle y réussit qu’elle peut jeter les bases d’une société communiste, qu’elle peut lier les individus par les liens d’une communauté d’intérêt réelle et indestructible, faire disparaître avec les privilèges aussi les classes. Tant que des antagonismes subsistent, il serait chimérique d’attendre que le « un pour tous, tous pour un », principe de la société communiste, devienne une réalité. Longtemps on a cru dans les milieux socialistes qu’il suffirait d’abolir la propriété privée des moyens de production pour créer en même temps les conditions de l’évolution vers la société communiste. Ce n’est qu’au contact du mouvement ouvrier avec la réalité que l’esprit critique commença à s’exercer et qu’on a pu pénétrer plus avant dans l’étude des formes d’organisation économique de la société, nécessaire à cette évolution. Et encore, ce ne furent pas tant les formes, mais les principes régissant l’organisme économique qui furent précisés. La pièce maîtresse de ce travail d’improvisation théorique est constituée par les clauses marginales que Marx écrivit au programme de la social-démocratie allemande, en 1875. Pour caractériser les idées générales qui avaient cours à ce moment quant à l’utilité générale de l’étude du régime de transition, il faut noter que Marx n’y est amené à traiter assez longuement le problème de la répartition que parce que Lassalle lui avait accordé – erronément de l’avis de Marx – une place importante dans le projet de programme du parti. Les problèmes politiques que soulève la période de transition ne méritaient pas davantage de discussion. De l’avis de Marx, pendant la période de transition l’État ne saurait être autre chose que la « dictature révolutionnaire du prolétariat ». Mais il ajoute : « Le programme n’a pas à s’occuper, pour l’instant, de cette dernière, non plus que de la nature de l’État futur dans la société communiste ». Il avait dit précédemment que ces questions ne pouvaient être résolues que « par la science ». Il est vrai, en enrichissant les sciences de la société d’une contribution d’une rare valeur, Marx avait fait plus que quiconque pour aider à trouver une solution à ces problèmes. N’empêche que sa remarque illustre assez bien l’indifférence avec laquelle étaient traités, à cette époque, des problèmes qui se trouvent au centre de nos préoccupations actuelles. Il est vrai qu’il n’avait pas été donné à Marx de pouvoir méditer sur la déchéance d’une révolution qui s’est déroulée sous le signe de la lutte pour le socialisme. La révolution prolétarienne doit donc abolir la propriété privée des moyens de production. Cette abolition met fin à l’infériorité économique des masses. La révolution transmet le droit de propriété à la classe ouvrière et la met – selon Engels – « en possession du produit tout entier de son travail ». La classe ouvrière possédant « le produit tout entier de son travail », quels seraient les rapports de chaque individu vis-à-vis du produit du travail social ? A cette question, Marx répondait dans le « Capital » : « Représentons-nous enfin, pour changer, une réunion d’hommes libres travaillant avec des moyens de production communs et dépensant, en parfaite connaissance de cause, leurs nombreuses forces individuelles de travail comme une force de travail sociale. Tout ce qui a déterminé le travail de Robinson se répète ici, mais socialement et non plus individuellement. Tous les produits de Robinson étaient ses produits exclusivement personnels et par suite objets d’utilité immédiate pour lui. Le produit total de l’association est un produit social. Une partie de ce produit sert de nouveau comme moyen de production et reste sociale. Mais une autre partie est consommée par les membres de l’association et doit donc être répartie entre eux. Le mode de répartition variera suivant l’espèce particulière de l’organisme social de production et le degré correspondant de développement historique des producteurs. Si nous supposons que la part de chaque producteur est déterminée par son temps de travail, c’est uniquement pour établir un parallèle avec la production (capitaliste) des marchandises. Le temps de travail jouerait donc un double rôle. D’une part sa distribution méthodique dans la société règle la proportion exacte entre les diverses fonctions du travail et les divers besoins. D’autre part, il sert à mesurer la part individuelle que chaque producteur prend au travail commun et la part qu’il peut avoir du produit commun réservé à la consommation individuelle. Les rapports sociaux des hommes restent ici très simples, dans la production aussi bien que dans la distribution ». Dans ses « Critiques », Marx a encore développé d’une façon plus précise les rapports du producteur « libre » vis-à-vis de la société : « Le producteur reçoit donc individuellement... l’équivalent exact de ce qu’il a donné à la société. Ce qu’il lui a donné, c’est son quantum individuel de travail. Par exemple, la journée sociale de travail représente la somme des heures de travail individuel ; le temps de travail individuel de chaque producteur est la portion qu’il a fournie de la journée sociale de travail, la part qu’il y a prise. Il reçoit de la société un bon constatant qu’il a fourni tant de travail (défalcation faite du travail effectué pour le fonds collectif) et, avec ce bon, il retire des stocks sociaux une quantité d’objets de consommation correspondant à la valeur de son travail. Ce même quantum de travail qu’il a fourni à la société sous une forme, il le reçoit d’elle sous une autre forme ». Les communistes internationalistes hollandais ont eu le mérite de rétablir la notion marxiste des normes économiques qui règlent l’activité sociale de la période de transition. C’est déjà assez pour marquer la raison d’être de leur étude. On ne pourrait s’imaginer que d’autres rapports puissent s’établir entre le producteur individuel et le produit social du travail que celui qui découle de la part individuelle qu’il a prise à la production. Les communistes actuels se gardent bien d’invoquer Marx à ce propos pour justifier le régime de l’État soviétique où le travail continue à être payé à sa valeur, c’est-à-dire au taux qui correspond (ou à peu près) au coût de sa reproduction, ce qui permet aux classes dirigeantes constituées en État d’accumuler une plus-value qu’elles utilisent non selon les besoins de développement de la société, mais pour la conservation de leurs privilèges à elles. Mais la controverse avec les centristes n’est nullement épuisée par les quelques citations de Marx que nous venons de faire car, au premier désaccord sur le quantum individuel de travail comme valeur de la consommation individuelle, s’en greffe un deuxième sur la qualité du travail individuel fourni. A ce propos, les communistes officiels sont un peu plus loquaces ; ils invoquent Marx, mais à tort, comme nous allons le démontrer. Le fait d’admettre la part que prend chaque individu au travail social général comme base de la consommation personnelle n’implique pas nécessairement l’égalité de cette consommation, même à quantum individuel de travail égal. En Russie, la grande inégalité des salaires est justifiée par la nécessité de payer le salaire à sa valeur. Le travail du manœuvre coûte moins cher que celui de l’ingénieur ou du dirigeant soviétique. Il paraîtrait que c’est parce que le manœuvre ne dispose que d’une force de travail brute, élémentaire, qui ne nécessite pas (ou très peu) de préparation technique de son détenteur d’où absence de dépense – ou investissement de capital – préalable à son emploi, tandis que la force de l’ingénieur ne peut être formée que grâce à des études coûteuses. Bref, la formation d’un ingénieur est plus coûteuse que celle d’un manœuvre et il est donc logique qu’une quantité de travail de l’un soit payée plus cher qu’une même quantité de travail de l’autre. Staline, dans un entretien avec l’écrivain Emile Ludwig, s’est expliqué de cette inégalité et s’en est référé, pour la justifier, aux « Critiques » de Marx. Ainsi en parlant des « niveleurs » et « égalitaires » qui reprochent la trop grande inégalité des revenus des diverses couches de la population russe, il les présente comme des adeptes d’un « communisme paysan primitif », d’un communisme de consommation, partisans de la « mise en tas de tous les biens et de leur partage égal entre tous ». Il ne semble pas difficile alors à Staline de démontrer que Marx, Engels et Lénine ont toujours combattu un pareil nivellement et que Marx, particulièrement, a écrit que ce n’est que dans la phase supérieure du communisme que la société pourrait inscrire sur ses drapeaux la formule : « A chacun selon ses capacités, à chacun selon ses prestations ». Mais précisément, les marxistes révolutionnaires peuvent reprocher à Staline non pas de ne pas appliquer la devise qui devrait être en honneur dans la phase supérieure du communisme, ils lui reprochent de ne pas appliquer la théorie marxiste du socialisme, de ne pas donner à chacun selon son travail. Parce que Marx distinguait chez les individus des « capacités productives » et des « privilèges naturels » inégaux, Staline lui fait reconnaître qu’il est nécessaire d’appliquer des rémunérations inégales. Or Marx voyait précisément dans le fait que la part au profit social restait égale – à prestation égale, bien entendu – pour chaque individu, alors que leurs besoins et l’effort déployé pour atteindre à une même prestation étaient différents. Marx voyait là dedans l’inégalité. Il est vrai que Marx a écrit par ailleurs : « La poursuite à grands cris de l’égalité des salaires repose... sur une erreur, sur un désir malsain qui ne sera jamais exaucé ». A ce moment, c’était pour démontrer que sous le « régime du salariat », la poursuite d’un « salaire équitable » ne pouvait couvrir que l’esclavage, mais nous savons que, selon Marx, la révolution prolétarienne a pour tâche d’abolir le salariat. Mais les communistes officiels n’y regardent pas de si près lorsqu’ils citent Marx. Pour enlever tout doute, citons encore les « Critiques » de Marx. Il dit : « A égalité de travail et, par conséquent, à égalité de participation au fonds social de consommation, l’on reçoit donc effectivement plus. Et pourquoi ? Parce que le droit, par sa nature, ne peut consister que dans l’emploi d’une même unité ; mais les individus inégaux ne sont mesurables d’après une unité commune qu’autant qu’on les considère d’un même point de vue, qu’on ne les saisit que sous un aspect déterminé, par exemple, dans le cas donné que comme des travailleurs, rien de plus et indépendamment de tout le reste ». Et Marx de conclure : « Pour éviter toutes ces difficultés, le droit devrait être, non pas égal, mais inégal ». La pensée de Marx apparaît ainsi clairement. L’inégalité que laisse subsister la première phase du socialisme résulte non pas de la rémunération inégale qui serait appliquée à diverses sortes de travail : le travail simple du manœuvre ou le travail composé de l’ingénieur avec, entre ces deux extrêmes, tous les échelons intermédiaires. Non, tous les genres de travail se valent, seules « sa durée » et « son intensité » devant être mesurées, mais l’inégalité provient de ce qu’on applique à des hommes ayant des capacités et des besoins différents des tâches et des ressources uniformes. Marquons donc, avant de continuer plus avant notre documentation, ce point : lorsqu’on essaye de dégager des lois qui régissent la société actuelle les tendances de leur évolution naturelle (ce à quoi toute révolution doit s’adapter) et de déceler celles qui régiront la société de demain, on arrive à conclure qu’à la base de toute tentative de transformation sociale communiste doit se trouver la reconnaissance de l’égalité du travail social de tous les hommes. Seul, le prolétariat est capable de donner vie à ce principe, d’en faire une réalité vivante. Autre chose : l’application de ce principe ne doit pas se trouver à la fin de la période de transition, au début donc de la « phase supérieure » du communisme dont parlait Marx, mais il se place à son tout premier début, il en est l’assise fondamentale sans laquelle la période de transition sera tout ce qu’on voudra, hormis une transition vers le communisme. Un enseignement que l’étude des internationalistes hollandais met opportunément en lumière, c’est que la remise de l’appareil de production aux mains de l’État, fut-il prolétarien, ne peut conduire au communisme, comme l’exemple de la révolution russe l’a prouvé. Marx et Engels n’ont pu, de leur temps, apporter aux problèmes de la gestion des solutions définitives. Ce qu’on trouve dans l’œuvre d’Engels à ce propos est contradictoire ; quelque fut leur génie, il leur manquait la matière d’expérimentation que l’histoire n’avait pas encore fournie à leur époque. Mais maintenant il n’est plus possible de douter. Certes, théoriquement, on peut parfaitement s’imaginer, après la révolution, l’État « prolétarien » gérant, au moyen d’un appareil de direction économique adéquat, l’ensemble des moyens de production au profit de la collectivité. Mais ce ne peut être que de l’imagination. En effet, que suppose l’existence d’un tel appareil de direction centralisé et son fonctionnement au profit des masses ? Qu’il y ait identité d’intérêt parfaite entre les masses des travailleurs et les centres de direction. Mais à supposer que cette identité d’intérêt existe, est-ce que, dans ce cas, de tels conseils économiques surgiraient ? Évidemment, non. Comme la direction de la production serait dépourvue, dans ces conditions, de tout caractère politique, comme il ne s’agirait, pour reprendre une définition devenue célèbre, que d’une « administration de choses », point ne serait nécessaire d’établir un appareil de coercition. La direction n’aurait aucune raison de restreindre les droits des « administrés ». Puisqu’il y a identité d’intérêt, la volonté des ouvriers groupés dans leurs entreprises ne peut que rejoindre les prévisions établies en haut, puisqu’en tant que matérialistes nous admettons que ce sont les intérêts économiques, présumés ou réels, des groupes sociaux qui déterminent leurs desiderata. L’État, dans de telles conditions, serait purement superfétatoire. Personne ne songerait à en créer un, à plus forte raison à lui attribuer des fonctions de plus en plus importantes. Il faudrait, dans ces conditions, simplement un organisme élaborant, avec un minimum de contraintes, les décisions reflétant la volonté collective des masses. Mais l’expérience d’une séparation profonde entre les organismes de direction économique à la base – dont la fonction de direction cesse rapidement, dans ces conditions, pour se transformer en auxiliaires soumis des organismes supérieurs – et les centres économiques, atteste l’existence d’antagonismes profonds. Elle ne peut être que l’expression du fait que deux tendances sociales se trouvent en présence et lorsque la fonction des uns est systématiquement gênée dans son expression au profit des autres, il faut en déduire que l’antagonisme entre les deux est irréductible. On objectera que la privation du droit des travailleurs à gérer leurs entreprises peut être justifiée par les tâches particulières de la période de transition. On sort, en effet, d’une économie construite en vue du profit capitaliste. Il s’agit de l’adapter à la production en vue de la satisfaction large des besoins de toute la collectivité ; en d’autres termes, des grandes masses. Il s’agit donc, non de consommer, de jouir des richesses et des biens sociaux (entre parenthèses, les biens consommables se réduiront probablement à bien peu de chose au moment de la révolution), mais, avant tout, de produire, de développer et d’économiser. Mais on se demande sur qui la classe ouvrière peut compter, en dehors d’elle-même, pour mener à bien ces tâches. Elle ne peut, pour les accomplir, déléguer ses pouvoirs à personne d’autre qu’à elle-même, si qualifiés et si compétents que les guides qui sollicitent ces pouvoirs puissent paraître. Car le marxisme nous enseigne une chose : qu’une classe ne peut s’émanciper que par ses propres forces. La transformation de l’appareil de production, de machines à produire du profit capitaliste en un organisme susceptible de satisfaire tous les besoins des masses ne peut être accomplie que par les travailleurs eux-mêmes, non pas par des techniciens, si qualifiés soient-ils, ni des guides, si désintéressés qu’ils puissent s’affirmer. Si pénétrante et si convaincante, l’étude des Internationalistes hollandais est, lorsqu’elle s’emploie à démontrer comment, dans la révolution prolétarienne, les fonctions de direction économique doivent passer directement sans l’intermédiaire de l’État aux travailleurs organisés, aux divers échelons correspondant avec les rouages de l’appareil de production, si abstraite et arbitraire elle nous paraît lorsqu’ils entreprennent de justifier les méthodes politiques d’organisation des masses qui leur sont particulières. A vrai dire, l’aspect politique n’est pas traité explicitement dans leur ouvrage, mais on sent – et ceci n’est pas un reproche, car il ne pourrait en être autrement – la préoccupation politique courir comme un fil blanc d’un bout à l’autre de l’étude et la dominer. La thèse des Internationalistes hollandais est connue : les partis politiques sont des organisations spécifiques de la bourgeoisie. Le prolétariat réalise donc son unité non pas au travers de partis politiques, mais au travers des conseils d’entreprises englobant l’ensemble des travailleurs sur la base qu’ils occupent dans la production. Ces conseils sont amenés, par la force des choses, à s’orienter de plus en plus vers le communisme. Lors de la prise du pouvoir par le prolétariat, les entreprises se trouvent donc nécessairement entre les mains des conseils. Ceux-ci commencent à organiser la production sur des bases communistes sans en confier l’organisation à l’État. Les syndicats n’ayant plus aucun rôle à remplir disparaissent. Les fonctions de l’État se réduisent à la protection du nouveau régime, donc à la répression des tentatives contre-révolutionnaires des classes dépossédées. Aucune fonction de direction économique ne lui est impartie. Voilà donc l’essentiel du point de vue des Internationalistes. Il est un fait que nul ne peut contester, c’est que les luttes du prolétariat du 20ème siècle ont fait apparaître des formes d’organisation tout à fait originales s’adaptant plus particulièrement à la période de commotion sociale dont les grandes luttes révolutionnaires de 1905 et 1917 en Russie, 1918 et 1923 en Allemagne, 1919 en Italie furent les annonciatrices. Dans les deux premiers pays, ce furent les soviets des députés ouvriers et paysans et les conseils d’ouvriers qui servirent de canal au rassemblement des grandes masses. Il est probable que de telles organisations seront les formes spécifiques de l’insurrection prolétarienne de demain et qu’elles serviront d’instrument révolutionnaire aux mains du prolétariat pour établir sa dictature. Si on considère que la prise du pouvoir par le prolétariat ne peut être réalisée que si les grandes masses, celles qui, d’ordinaire, restent en marge de toute activité politique ou sociale, se mettent en mouvement, on ne pourrait presque pas supposer qu’il en soit autrement. Mais même si cela devait se dérouler d’après de tels pronostics, on ne conçoit pas que les conseils puissent venir supplanter toute autre forme d’organisation du prolétariat. La classe ouvrière ne se présentera pas, pas plus qu’aucune autre classe dans l’histoire, une et indivisible devant la révolution. Les idéologies héritées du passé, des intérêts particuliers de groupes au sein de la classe ouvrière même et l’antagonisme entre les deux grands groupes sociaux en présence représentant : l’un la révolution, l’avenir, l’autre le retour vers le capitalisme, se manifesteront par la création surabondante de groupements d’affinités qui deviennent, dans la lutte, autant de drapeaux différents autour desquels la classe ouvrière aura tendance à se grouper. Le rôle des partis politiques ne nous semble donc pas aboli ; au contraire, leur activité devient croissante à l’approche de la « lutte finale ». Et de même que l’élément rétrograde de la masse se manifestera en donnant son adhésion aux partis réactionnaires, il nous semble que la conscience révolutionnaire du prolétariat ne peut se manifester qu’en créant un parti exprimant, contre tous les autres, les intérêts durables de la révolution. La construction d’un parti révolutionnaire ne semble donc pas s’opposer aux formes d’organisation dont nous savons qu’elles furent les formes spécifiques de la lutte révolutionnaire et dont, par conséquent, il y a lieu de supposer qu’elles le seront encore dans l’avenir, mais elle apparaît comme une forme complémentaire, indispensable, sans laquelle elle ne pourrait être complète, de l’organisation du prolétariat. Certes, le rapport entre les diverses formes d’organisation sera, dans chaque révolution, différent, parce qu’on a chaque fois affaire à des complexes sociaux de composition différente (non pas différents quant au contenu, mais quant aux rapports entre les divers éléments constitutifs) imprégnés de traditions historiques diverses. Mais ce n’est pas à cause de la transformation contre-révolutionnaire de tel ou tel parti dans une révolution, transformation conditionnée elle-même par des circonstances historiques et sociales bien concrètes, qu’il convient de décréter la non validité pour le prolétariat de partis politiques en général. L’État occupe aussi, dans le système des Hollandais, une place pour le moins équivoque. Après lecture de leur démonstration, il pourrait apparaître à maints lecteurs qu’en réalité tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. La révolution est en marche, elle ne pourrait pas ne pas venir et il suffit de laisser aller les choses à elles-mêmes pour que le socialisme devienne réalité. Or, rien n’est plus étranger à la notion marxiste de l’évolution sociale que cette conception. Les révolutions sont, il est vrai, des enregistrements périodiques que l’histoire institue pour mesurer l’évolution des classes. En ce sens, les classes ne peuvent jamais atteindre un niveau supérieur à celui correspondant à l’ensemble de leurs capacités économiques et sociales, les résultats des révolutions apparaissent comme déterminés d’avance. Mais c’est seulement en ce sens-là, car révolution signifie, avant tout, intervention consciente volontaire des masses pour changer violemment – on pourrait même dire presqu’arbitrairement – le cours de l’évolution et l’orienter dans un sens nouveau. C’est pour cela qu’une révolution, si « mûre » fut-elle, ne peut jamais être un processus mécanique. Il est possible que telle ne soit pas non plus l’opinion de nos camarades hollandais et que la lacune que nous signalons ne résulte que de la nécessité qu’il y avait d’abstraire en quelque sorte et de montrer, pour la clarté de l’exposition, l’évolution économique comme étant complètement séparée de l’intervention politique, mais il importe quand même de faire plus de clarté sur ce point. Il est vrai qu’ils affirment quelque part que l’État reste nécessaire au prolétariat après la prise du pouvoir. Il s’agit d’un « État » d’une nature particulière, qui n’est déjà plus, en réalité, un État, comme Lénine, après Marx, le montrait d’ailleurs. Il s’agit d’un État qui « ne puisse pas ne pas dépérir », alors que le marxisme a mis en relief que l’État était toujours l’instrument d’oppression d’une classe sur une autre. Il est possible que, pour la clarté de l’exposition, il faudrait remplacer dans la terminologie l’expression d’ « État prolétarien » par une autre plus adéquate. Mais, avec ces explications, on comprendra nos critiques. L’exposé des Hollandais énonce la nécessité d’un « État prolétarien » qui ne pourrait pas s’évader de sa fonction d’instrument de répression de la contre-révolution. Suite et fin de l’article publiée dans Bilan No 23, page 788, faute de place dans le No 22 : D’autre part, l’étude de la transformation sociale, plus particulièrement l’analyse de la révolution russe, nous montre que les bouleversements sociaux ne peuvent être que consécutifs à l’effondrement complet des systèmes de production qu’il s’agit de remplacer. C’est dire que la transformation s’opère dans les conditions objectives les plus désastreuses. Le nouveau mode de production ne peut pas succéder à celui qui vient de disparaître sans une période d’adaptation et de consolidation. Cette période met à l’avant-plan la solution de problèmes économiques tout différents de ceux devant lesquels la société socialiste sera placée en période normale. Pour ne citer qu’une seule contradiction : le socialisme apportera la paix. Cependant, il est très probable que le premier geste d’une révolution victorieuse soit une déclaration de guerre, de guerre aux forces de réaction alarmées. Au lieu d’une production en vue des besoins d’une collectivité pacifiée, la révolution naissante serait dans l’obligation d’orienter sa production vers les blocus de guerre. Dans de telles conditions, si on y ajoute le chaos consécutif à tout bouleversement social et à toute guerre civile, le calcul de l’heure moyenne de travail ne peut être qu’arbitraire. Il faudra lui donner volontairement, donc arbitrairement, une « valeur » quelconque, quitte à en vérifier l’exactitude par après. La marge d’improvisation des organes de direction centrale, que ces organes émanent de l’ « État » ou d’un « Congrès Général des Conseils d’Entreprises », reste donc très grande. La question essentielle ne nous paraît pas de savoir s’il faudra « attribuer » ou ne pas attribuer une telle marge, mais bien de savoir qui attribuera. Encore une fois, rien ne peut être décrété dans ce domaine ; en dernier ressort, c’est la force des catégories sociales en présence qui aura son dernier mot à dire. Les pouvoirs discrétionnaires accordés à telle ou telle instance ne seront mis au service de la collectivité, à l’exception de toute catégorie particulière, qu’à la seule condition que les groupes qui accordent ces pouvoirs se trouvent à même de les retirer à n’importe quel moment. Qu’une pareille faculté des « administrés », ou pour employer la vieille expression de Marx et que le deuxième Congrès de l’Internationale Communiste reprenait à son compte – qu’une pareille faculté des « travailleurs libres unis en une libre association » soit liée à un degré d’évolution déterminé de l’appareil de production est une chose qui va de soi. Mais que la révolution prolétarienne ne puisse inscrire d’autre mot d’ordre dans son drapeau ne nous paraît pas moins évident. A. Hennaut Note de l'éditeur1. Voir le contribution dans “Bilan” de Mitchell. © Bien que, en général, la Gauche communiste s’abstenait d’exiger des droits d’auteur ou des droits de “propriété intellectuelle”, certaines publications de ce site pourraient être protégées par de tels droits. Si c’est le cas, leur accès est gratuit seulement pour consultation d’ordre privé. Le matériel non protégé par ces droits peut être librement diffusé pour tout usage non commercial. Nous vous serions reconnaissants de référencier vos sources et de les accompagner d’un avertissement. Pour une utilisation à but lucratif, prière de prendre contact. Compiled by Vico, 30 January 2016 |
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